Association de bénévoles Idra

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Florence, le 07 mai 2003

 

Au Président et aux membres du Sénat de la République Française

Au Président et aux membres de l’Assemblée Nationale de la République Française

 

Objet : Projet de ligne ferroviaire Grande Vitesse Lyon-Turin : mémoire sur les conséquences économiques et environnementales de l’étude et du chantier de la traversée souterraine des Apennins pour la ligne Grande Vitesse Bologne-Florence.

 

Messieurs les Députés et Sénateurs

Grâce à ce mémoire et aux onze documents ci-joints, nous sommes très désireux de vous apporter de manière synthétique quelques éléments d’information sur les conditions et les conséquences du chantier de ligne ferroviaire Grande Vitesse en cours entre Bologne et Florence, sous l’Apennin toscano-émilien, et ce au moment où vous allez être amenés à vous prononcer sur le projet de traversée souterraine des Alpes pour une ligne Grande Vitesse Lyon-Turin.

Nous espérons que la connaissance de ces informations sur le chantier en cours en Toscane, qui ne restera pas comme un modèle du genre, pourra contribuer à éviter au Trésor Public autant qu’à l’économie, à l’environnement et aux populations concernées par ce chantier, le risque de subir les dommages et les souffrances attestées en Italie.

La description – même sommaire – du processus d’approbation et d’exécution du chantier toscan pourra certainement vous être utile pour décider en toute connaissance de cause, et pour poser des conditions efficaces pour la sauvegarde et la défense des intérêts des populations et des territoires devant les autorités nationaux et locaux italiennes, qui se sont montrées si peu fiables au moment d'exercer leur pouvoirs et d'assurer les garanties nécessaires. En mai 2002, l’association Idra et l’association de défense de l’environnement Italia Nostra ont déposé un recours auprès de la Commission Européenne à l’encontre du gouvernement italien, responsable de l’approbation du chantier.

Nous sommes à votre disposition pour toute information supplémentaire, et vous invitons également à prendre connaissance des documents disponibles sur les sites Internet de l’association :

-http://www.idraonlus.it/vecchiosito/inizio.html

-http://idra.dadacasa.supereva.it .

Le président et porte-parole

Girolamo DELL’OLIO


Construction de la ligne ferroviaire Grande Vitesse

sous l’Apennin entre Bologne et Florence (Italie)

RAPPORT TOSCANE

Une contribution à destination du Parlement français appelé à se prononcer sur le projet de ligne Grande Vitesse Lyon-Turin

 

Les délais de réalisation

Le premier contrat pour la construction de la tranche Bologne-Florence de la ligne Grande Vitesse Milan-Naples fut signé en 1991, lorsque la société des chemins de fer italien (FS) a attribué à la société TAV (qui a ete créé spécialement pour ce type d’ouvrages) la concession des études, de la construction et de la mise en valeur économique des lignes Milan-Naples et Turin-Venise. Le premier chantier a été inauguré en juillet 1996. D’après les indications portées sur le document préalable d’exécution des travaux, approuvé en juillet de l’année précédente, la ligne (73,3 km de tunnels sous l’Apennin, sur 78,5 k au total) aurait du entrer en service au début de l’année 2003 (cf. pièce jointe 1). Au jour d’aujourd’hui (mai 2003), seuls 67 pour cent des travaux ont été réalisés (cf. pièce jointe 2). Les projets relatifs à l’arrivée sur Florence (appelé " Variante Florence-Castello ") ont été approuvés en juillet 1998, et le chantier à débuté en juin 1999 (cf. pièce jointe 2). Les dernières mises à jour du site Internet de TAV (cf. pièce jointe 3) parlent de 2007 comme d’une probable "date d’achèvement des travaux " pour la ligne Bologne-Florence, à l'exception des traversées urbaines.

 

Les coûts de construction

Les coûts de la construction de la ligne Bologne-Florence, d’après le contrat de 1991, se montaient à environ 2 100 milliards de lires, c’est à dire 1 100 millions d’euros (cf. pièce jointe 4). Aujourd’hui, ils s’élèvent déjà à 4 700 millions d’euros (cf. pièce jointe 3). Dans une interview d’octobre 2001 au quotidien florentin La Nazione (cf. pièce jointe 5), le président du Conseil Supérieur des Travaux Publics Aurelio Misiti s’est déclaré incapable de signer le procès-verbal de vérification des travaux en l’état actuel des choses, c’est à dire sans les galeries de services des ouvrages souterrains, inexistantes malgré les observations réitérées faites à la Justice et aux autorités (Ministères de l’Environnement, de l’Intérieur et des Transports, sous-secrétariats d’Etat, Protection Civile, Président de la République). D’après M. Misiti, la mise aux normes du chantier coûterait entre 30 et 40 pour cent des dépenses déjà engagées. Il va sans dire que cette mise aux normes provoquerait une aggravation de l’important impact environnemental et social.

Pour les 1 100 millions d’euros estimés, le contrat de 1991 prévoyait un financement privé à 60 pour cent et public à 40 pour cent. Le financement privé étant d’après ce document majoritaire, TAV a confié directement à la FIAT l’exécution des travaux. En août 1997, le ministre des Transports Claudio Burlando admettait cependant que " pour l’instant, les investisseurs privés n’ont rien versé " (Corriere della Sera, 07 août 1997). En mars 1998 était finalement annoncé l’acquisition de TAV par FS, au capital intégralement public.

 

Les conséquences économiques et environnementales

Des dommages aux éléments aquifères du sous-sol ont été relevés à partir de 1997 dans la province de Florence. Durant l’été 1998, les sources qui approvisionnaient le réseau public de Visignano et le réseau privé de Castelvecchio, dans la commune de Firenzuola, ont été détournées et taries. Dans le même temps, des assèchements de cours d’eau ont été notés, entraînant morts de truites et de crustacés. Il ne nous est pas possible de savoir si des interférences avec la nappe phréatique ont eu lieu précédemment : manquent en effet les données du contrôle ante operam. La mise au point et l’exécution des programmes de mesures des impacts ont de fait été confiés à la même TAV qui, d’après ce qu’ont pu par la suite constater divers organismes, a omis de surveiller de nombreux terrains qui ont été endommagés par les excavations des tunnels ferroviaires. Quoi qu’il en soit, à partir de 1998, les atteintes aux nappes phréatiques sont devenues de plus en plus graves et fréquentes (cf. pièce jointe 6), avec leurs cortèges de glissements et d’affaissements de terrain, d’inondations, de déversements des eaux usées dans les torrents, de dommages aux habitations. A de nombreuses reprises, l’Observatoire National de l’Environnement (crée par le ministère de l’Environnement mais ayant reçu ses pouvoirs tardivement) a dû deliberer au sujet della suspension des travaux, et a admis les graves lacunes du dossier, malgré la présence dans sa structure même de représentants des organes de contrôle et des sociétés contrôlées, chacun ayant le droit de veto. En outre, une fois connues les données des mesures effectuées par TAV, un financement public spécifique a permis l’an dernier au professeur Giuliano Rodolfi, enseignant la Géographie physique et la Géomorphologie à l’Université de Florence, de quantifier les dommages causés au réseau hydrologique par le chantier TAV dans la partie toscane de la ligne Bologne-Florence. Jusqu’en mai 2002, 45 millions de mètres cube d’eau de montagne ont été perdus (cf. pièce jointe 7) du fait de la baisse générale des nappes phréatiques : dégâts probablement irréversibles. L’hémorragie hydrique est toujours en cours : depuis des mois, plus de 700 litres d’eau à la seconde s’échappent des chantiers TAV sur le tracé toscan de la ligne (cf. pièce jointe 8). Aucune étude systématique est poursuivie en vue de mesurer et prévoir les impacts environnementaux globaux sur l’écosystème de montagnes et de collines du Mugello et du mont Morello, aux portes de Florence, n’a encore été lancée. Aux résidents des secteurs concernés, touchés de plein fouet par la crise hydrique, l’eau a été rendue par camions-citernes puis par de nouveaux réseaux d’aqueducs qui ont remplacés le captage des eaux de montagnes et des torrents par le pompage d’eaux de fonds de vallées, qui ont parfois traversé les chantiers ; une eau avec des pires caractéristiques organoleptiques, au prix d’une dépense énergétique et économique permanente, et d'une pollution supplémentaire de l’environnement. Des dommages économiques durables ont en effet été mis en évidence, non seulement pour les communautés frappés par la crise de l’approvisionnement en eau, mais concernant tous les secteurs basant leur activité sur la disponibilité en eau : entreprises agricoles, industries laitières et zootechniques.

Plusieurs contaminations du réseau hydrologique ont été enregistrées à partir de 1998 du fait des déchets du chantier (boues, poussières, produits chimiques), alors que les mesures de dépuration se sont révélées insuffisantes. Tout cela concerne des rivières et des torrents à l’indice de qualité très élevé, coulant au milieux de zones de grande valeur environnementale, proposées par la Région Toscane pour faire partie des Sites d’Importance Communautaire (Directive 92/43/CEE " Habitat " pour la protection des " habitats naturels et aires significatives pour la présence d’espèces animales et/ou végétales d’intérêt communautaire "). Les eaux des ces rivières et torrents ont chuté de la classe de qualité I de l’indice IBE (Indice Biologique Global) à la classe de qualité IV. En certains endroits, c’est une véritable mort biologique que l’on constate, caractérisée par la disparition de toute forme de vie macro invertébrée, au point que l’on ne peut plus même prétendre à cette classification IBE (cf. pièce jointe 9).

Les suites d’une enquête menée par le Procureur de la République de Florence ont entraînées en juin 2001 la fermeture d’un chantier, de sept excavations et de huit dépôts du chantier TAV en Toscane : de nombreux représentants du maître d’œuvre et des sociétés impliquées dans la réalisation ont été inculpés et renvoyés devant la Justice pour diverses atteintes à l’environnement (par exemple la gestion fautive des décharges avec stockage de produits et de matériels d’excavation dangereux, traitement, transport et recyclage non autorisés des déchets, oubli des procédures d’assainissement, escroqueries au préjudice de la région Toscane, dommages causées aux nappes phréatiques servant aux cultures de caves, stockages provisoires illégaux de déchets spéciaux). L’enquête s’est également intéressé à l’appauvrissement en ressources hydrologiques et à la pollution des eaux. Les poursuites menées pour deux enquêtes seront unifié au sein d’une même procédure. L’audience a été fixée pour le 23 octobre 2003 au tribunal de Florence.

Quant aux conséquences du chantier sur le paysage de ces collines chargées d’Histoire du Haut Mugello, du Mugello et des pentes du mont Morello (décharges, bétonnage, infrastructures nécessaires aux travaux), elles sont évidentes.

 

Les conséquences sanitaires

Le chantier de TAV a produit des conséquences néfastes sur la qualité de vie et sur la santé des populations habitant à proximité des chantiers ou le long des axes utilisés par les poids lourds (cf. pièce jointe 10). En l’absence d’un programme spécifique de contrôle et de protection de la santé et de la qualité de vie des résidents concernés, il n’est pas possible de disposer de données statistiques fiables. Il a de toute façon eté nécessaire de déplacer des gens de leurs habitations vers d’autres sites.

La présence d’un service institutionnel de vigilance publique pour la prévention et la sécurité sur les lieux de travail a permis de témoigner (mais pas entièrement de soulager) des conditions de souffrances physiques, psychologiques et sociales dans lesquelles ont été amenés à travailler, et travaillent encore, les employés des chantiers, de par l’effet combiné des rythmes de travail éreintants (jusqu’à 48 heures hebdomadaires nocturnes dans les tunnels, avec une heure de relève qui change chaque semaine), des conditions environnementales néfastes (cf. pièce jointe 11) et de la ségrégation sociale du fait des camps de base souvent éloignés des habitations, des populations et que les services ne desservent pas.

* * *

Traduit avec l’aimable concours de l’Institut Français de Florence et de M. Jean-Gabriel Delacroy

 

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